mardi 24 juin 2014

Lettre des journalistes précaires soutenus par les syndicats à Mathieu Gallet, PDG de Radio France

Cette lettre écrite par le Collectif des journalistes précaires de Radio France a été adressée à Mathieu Gallet lors de son premier Comité central d'entreprise en tant que nouveau PDG, le 24 juin 2014.
Le texte a été envoyé à tous les syndicats de Radio France afin qu'ils le portent en début de séance. 

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Monsieur le Président Directeur général, 

Nous sommes les « CDD » et « CDDettes » du planning. C'est devenu un qualificatif, tant c'est un mode de vie en soi : être disponible tout le temps, prêt à partir remplacer des journalistes à l'autre bout de la France, pas de prévision à court, moyen ou long terme et des revenus très fluctuants. Tout cela en s'adaptant, bien sûr, à tous les postes du réseau France Bleu et des antennes nationales. 

Notre mobilisation est une première. Pourquoi ? parce que nos conditions de travail se sont sensiblement dégradées, amenant une partie d'entre nous à des situations dramatiques sur les plans professionnel et humain.

Nous sommes ultra-qualifiés (souvent entre bac+5 et bac+8), sortons d'écoles reconnues par la profession ou de la filière professionnelle de Radio France, passons un à trois ans en piges avant d'être durement sélectionnés pour travailler sur le planning de Radio France. En pige, en CDD ou CDI, nous faisons tous exactement le même travail. Mais pas dans les mêmes conditions.

Nous ne nous plaignons pas de notre rôle de remplaçant, nous savions à quoi nous nous engagions en arrivant. Mais quand le plan d'économies a été mis en place, nous nous sommes retrouvés en première ligne, considérés comme une simple variable d'ajustement. A quoi sert de remplacer si ce n'est pour décrocher un jour un poste à Radio France ? Nous enchaînons les contrats par dizaine sans savoir où nous allons. Dans n'importe quelle autre entreprise, une période d'essai dure trois mois, parfois six. Nous, nous restons à faire nos preuves pendant quatre, cinq ou six ans.

Nous ne sommes pas de la chair à canon, nous sommes l'avenir de notre métier. C'est pourquoi aujourd'hui, nous vous demandons de créer un vrai parcours d'embauche pour avoir un début de carrière décent.

Le planning peut être amélioré :

- En installant au moins deux personnes pour le gérer, dont une ayant des compétences en ressources humaines.
- En refusant l'éviction arbitraire des CDD.
- En fonctionnant de façon plus transparente.
- En assurant un partage équitable de la quantité de travail entre nous tous afin de permettre à chacun de défendre ses chances lors des entretien d'embauche et de pouvoir vivre décemment.

Notre collectif regroupe les journalistes mais de nombreuses autres professions sont touchées par la précarité à Radio France ; ce système où l'on peut cumuler des centaines de petits ou longs contrats, être en permanence d'astreinte sans pour autant être rémunéré, et toujours dépendre des indemnités de Pôle Emploi pour compléter notre salaire. Étonnant pour une entreprise de service public, non ?

Cette entreprise, vous venez d'en prendre la direction. Vous êtes, nous en avons bien conscience, très sollicité. Mais les précaires d’aujourd’hui seront, du moins osons-nous encore l'espérer, vos CDI de demain. Un début de carrière décent ne peut qu'être bénéfique à Radio France sur le long terme en offrant l'assurance de travailler avec des salariés enthousiastes et volontaires.

C’est pour toutes ces raisons que nous vous interpellons en préambule de ce CCE. La direction précédente a choisi de nous ignorer, nous espérons que la question de la précarité fera partie des préoccupations de votre mandat à Radio France.

En vous remerciant d'avoir pris connaissance de cette lettre, veuillez recevoir, Monsieur, nos salutations distinguées,

Le collectif des journalistes précaires de Radio France