jeudi 19 décembre 2013

Le silence radio de Jean-Luc Hees

Le 18 décembre dernier, Jean-Luc Hees était entendu par la Commission des affaires culturelles et la Commission des finances de l'Assemblée Nationale.
Alertés par le collectif, les députés ont demandé au PDG de Radio France de s'expliquer sur la précarité dans sa Maison.
Voici la question de la députée PS de Haute Garonne Martine Martinel :


Après très précisément 36 minutes et 15 secondes de réponse, Jean Luc Hees termine son intervention. "Je ne sais pas s'il y a des questions très importantes que j'ai ignoré" lâche le président en guise de conclusion. Celle de Martine Martinel peut-être ?
Pas de réponse sur la précarité à Radio France. Jean Luc Hees aurait-il oublié ses fondamentaux ?

Éviter les blancs en radio !

La longue réponse de Jean-Luc Hees :


mardi 10 décembre 2013

Lettre au Père Noël des journalistes précaires de Radio France

Cher père Noël,

Cette année, comme tous les ans, on ne pourra pas ouvrir nos cadeaux le 25 car on travaille. Pourrais-tu quand même les laisser près du sapin ? Ça nous ferait bien plaisir de les avoir en même temps que notre chèque de Pole Emploi.

Cette année, on voudrait :
- Des contrats de durée équivalente pour tous les CDD.
- Le chiffre des contrats distribués, on voudrait qu'il soit publié chaque année.
- Une deuxième personne pour gérer le planning de façon juste et transparente.
- Qu'aucun ancien du planning ne soit "remercié".
- Que la direction de Radio France s'aperçoive enfin que nous existons et qu'elle accepte d'ouvrir des négociations pour réformer le planning.

Comme on a été bien sages cette année encore, on compte sur toi Père Noël.
Et pour 2014, c'est promis, on ne lâchera pas !

Les journaliste précaires de Radio France

Lettre des journalistes précaires de Radio France aux membres du CSA

Cette lettre a également été envoyée aux parlementaires membres des commissions des affaires culturelles (Sénat et Assemblée Nationale).
 

Paris, le 10 décembre 2013,

Mesdames et messieurs les membres du Conseil Supérieurs de l’Audiovisuel,

Dans quelques semaines, vous auditionnerez les candidats à la présidence de la société Radio France, qui vous proposeront un « projet stratégique » pour notre belle maison. Cette maison, c’est aussi nous, la centaine de journalistes précaires du planning de Radio France, qui la faisons vivre. Sans nous, pas d'antenne les nuits, les week-ends, les jours fériés et les vacances scolaires. Sans nous, pas moyen de remplacer les congés maladies, maternité et les congés tout courts des journalistes titulaires.

Pour cela, nous cumulons les CDD, parfois plusieurs centaines, pendant de nombreuses années. Pour cela, nous sommes prêts à mettre entre parenthèses nos vies personnelles pour être disponibles à tout moment et partir pour des contrats dans l'une des radios du groupe partout en France. Pour des CDD d'un jour ou de plusieurs semaines.

Notre situation s'est encore fragilisée depuis novembre 2012 lorsque Radio France a choisi d'ajuster ses contraintes budgétaires sur notre dos, en diminuant drastiquement le volume de CDD. Nous nous enfonçons ainsi dans la précarité sans garantie d'embauche à terme, cumulant pour certains journalistes jusqu'à plus de 200 CDD.

Comment expliquer qu'un système de précarité régulièrement condamné par les tribunaux continue d'exister dans une entreprise de service public ?

Comment justifier qu'une partie de la redevance des citoyens français serve à indemniser des journalistes précaires ayant servi la maison depuis plus de cinq ans et qui se trouvent brutalement remerciés ?

Comment accepter que Radio France détourne le principe d'indemnisation de Pôle Emploi en le laissant compléter nos revenus les mois où nous travaillons peu ou pas ?

Cette situation dure depuis des années, et nous, journalistes précaires, la dénonçons depuis bientôt un an. Nous souhaitons engager des discussions, nous asseoir à une table et envisager une réforme nécessaire de ce "planning" que Radio France présente comme une étape obligatoire.

Nous avons alerté le ministère de la Culture sur nos conditions. Le cabinet de Madame Filippetti a jugé utile de nous recevoir et plaide pour l'ouverture de négociations. La direction de Radio France, elle, n'a jamais daigné nous répondre.

Alors, lorsque vous auditionnerez les candidats à la présidence de Radio France, Mesdames et Messieurs les membres du CSA, peut-être pourriez-vous leur demander si la situation des journalistes précaires de Radio France leur semble digne d'un audiovisuel public exemplaire.

En vous remerciant de l'attention que vous porterez à notre courrier, nous vous prions d'agréer l'expression de nos sentiments respectueux.

Le collectif des journalistes précaires de Radio France.

vendredi 6 décembre 2013

La précarité organisée fête ses 30 ans dans le service public

C'est un article d'une trentaine de pages paru aux Presses de Sciences Po en 2007. L'enquête date un peu mais ce qu'on y apprend est toujours très actuel.
A l'époque, l'auteur (Lionel Okas, mais c'est un pseudonyme) décide de travailler sur le cas de Radio France et de France 3 : deux entreprises qui abusent un peu, beaucoup, passionnément des CDD à répétition... A tel point qu'elles ont dû rationaliser tout cela et créer le planning. Le droit du travail en a pris un (gros) coup. Mais ça fait 30 ans que ça dure...
On a pensé que ça pourrait vous intéresser. Voici la fiche de lecture.
NB : cette étude n'évoque que le cas des journalistes mais la précarité concerne aussi les animateurs, les techniciens et les administratifs bien sûr.

Comment expliquer qu'un système de précarité régulièrement condamné par les tribunaux continue d'exister dans une entreprise de service public ? C'est la question centrale posée par Lionel Okas dans cette enquête. D'autant que les « victimes » qui tournent 3, 4, 5 ans ou plus sur le réseau (sans garantie d'embauche) sont des journalistes, une population qui dispose a priori de nombreuses ressources pour se mobiliser. L'auteur avance plusieurs raisons et commence par un rappel historique.

Le planning, ça n'a pas toujours existé !
L'amnésie collective du type « ça a toujours existé » en prend un coup. On apprend que le système a été bricolé dans les années 80, période où la précarité a explosé en France au détriment du CDI et du temps plein. A Radio France, le planning a ensuite été centralisé à Paris au début des années 90 d'après le modèle qu'on connaît aujourd'hui : une seule personne gère la destinée de plus d'une centaine de journalistes et décide de qui travaille et de qui ne travaille pas (p. 87-89).

On n'a pas le choix, se disent les précaires
Pourquoi ça tient ? Les jeunes journalistes eux-mêmes se disent qu'ils n'ont pas le choix : l'entrée dans le métier est précaire, quel que soit le média choisi. Peu importe finalement si l'audiovisuel public est le seul secteur où un système aussi poussé de précarité a été mis en place. Par ailleurs, l'encadrement de Radio France accompagne ce « tour de France » d'un discours créé après coup et qui présente ce passage obligé comme une étape positive : c'est « une école après l'école », « un complément de formation ». Peu importe donc que le système soit illégal car au fond personne ne le sait vraiment : « La méconnaissance du droit social est très répandue parmi les travailleurs précaires » (p. 104). Lionel Okas cite même quelques exemples cocasses : « Face aux pratiques illégales de son employeur, une journaliste inscrite au planning de Radio France depuis un an prétendait le plus sérieusement du monde que celui-ci devait bénéficier d'une dérogation, parce que sinon ça ne serait pas possible... Une autre, rédactrice précaire à France 3, n'envisageait pas qu'un tribunal puisse sanctionner une entreprise appartenant à l'Etat. » (p. 104)  

Un système illégal pourtant...
Et pourtant, la justice condamne régulièrement ces pratiques : « dans l'audiovisuel, la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu une trentaine d'arrêts depuis 1991, construisant une jurisprudence précise et constante et requalifiant systématiquement en CDI les CDD successifs quels qu'en soient les motifs » (p. 97). Mais cela, pas grand monde n'ose le dire dans un système où la mise à l'épreuve est permanente. A chaque fin de contrat, le précaire est évalué par un rédacteur en chef, qui envoie le document à la DRH à Paris ; évidemment mieux vaut pratiquer l'autocensure et choisir la loyauté vis à vis de la hiérarchie... Au final, ce rapport individualisé entre l'employeur et l'employé ainsi que la dispersion géographique des précaires ne favorise pas la mobilisation. D'autant que les plus anciens, plus enclins à contester, sont poussés à la sortie au delà de 4 ans de planning (« Livre blanc spécial précaires », SNJ Radio France, avril 2005). 

Cette « agence d'intérim interne » (p. 85) présente en fait trop d'avantages pour que la direction y renonce. L'auteur fait même un parallèle avec un secteur bien différent (p. 85) : « En changeant simplement le nom de l’entreprise, ce témoignage d’un chef de rayon dans la grande distribution correspond de manière remarquable à la situation que nous avons étudiée [dans le service public de l'audiovisuel] : “les CDD à répétition sont plus rentables pour l’employeur que les CDI. Les personnes s’investissent au maximum dans leur travail, espérant un CDI à la clé. Carrefour, par sa gestion du personnel, se permet d’avoir un turn-over très élevé, sans que cela lui coûte” (Cingolani, 2005). »

...et un système ambigu
En plus de son caractère illégal, le système du planning comporte également une ambiguïté fondamentale : il est présenté comme un passage obligé vers la titularisation. C'est vrai dans bien des cas mais ni France 3, ni Radio France ne sont en mesure de promettre une titularisation ; cette « règle du jeu » est d'ailleurs signifiée à tous les nouveaux entrants. « Le planning est une antichambre de Radio France, sans que ce soit explicité comme tel. On ne peut pas promettre une intégration et dire à quelqu’un qu’il va être embauché. (...) À un instant “t”, le journaliste devra correspondre au profil du poste à pourvoir. Il n’y a pas d’absolu de l’intégration », déclare un directeur de locale (p. 92). 

On n'a pas le choix, entonne la direction
Du côté des cadres, la principale justification est économique : « une entreprise, elle a des limites. Et une entreprise comme Radio France, elle a forcément des limites terribles. Elle a un budget, elle a une tutelle qui surveille les embauches comme le lait sur le feu, qui surveille le nombre de journalistes. (…) La tutelle exerce un poids pesant, c'est la vie. C'est le service public », déclare un cadre de Radio France (p. 94-95). Radio France et France 3 sont en effet soumises à la tutelle de deux ministères : celui de l'Economie et des Finances, d'un côté, et celui de la Culture de l'autre. Le financement est voté par le Parlement, assuré en très grande partie par la redevance (90% du budget à Radio France). En revanche, les tutelles n'interviennent pas dans le détail des politiques de gestion des effectifs, sinon par l'enveloppe globale attribuée (p. 95).  

Un système jamais remis en cause
Depuis les débuts de la précarité organisée dans le service public il y a trois décennies, des mouvement de contestation ont certes déjà eu lieu mais aucun n'a jamais réussi à remettre en cause le système lui-même. A chaque fois, la mobilisation aboutit à une régularisation d'un certain nombre de journalistes assortie d'engagements plus ou moins tenus par la direction. A France 3, la seule mobilisation de précaires mentionnée par l'auteur remonte à l'automne 1999 (p. 103) au sein de la rédaction nationale mais elle portait sur des revendications salariales et sur la titularisation des « historiques ». A Radio France, c'est la même histoire ; les deux dernières grandes vagues de titularisations ont eu lieu en 2000 au moment des 35 heures (55 postes ont été créés et pourvus par des journalistes du planning) et en 2005 après un accord entre syndicats et direction (p. 92). On régularise mais on ne renverse pas un système qui crée perpétuellement de nouveaux précaires.  

Conclusion
Au final l'article s'achève sur un constat : « Le gros problème de France 3, c'est vraisemblablement de ne pas avoir de politique de l'emploi mais des politiques de régularisations », explique un ancien cadre de la chaîne (p. 108). La remarque s'applique aussi à Radio France malheureusement...
« Ce n'est pas le moindre des paradoxes d'assister dans le service public à la généralisation de pratiques illégales dont les résultats (CDD à répétition sur plusieurs années) rejoignent certains projets de refonte globale du droit du travail défendus par le Medef. La mise à l'épreuve permanente qui résulte de ces systèmes de précarité n'est pas sans rappeler non plus la période d'essai dérogatoire de deux ans introduite par le contrat nouvelle embauche (CNE) dans les petites entreprises, et que le gouvernement Villepin voulait étendre à l'ensemble des entreprises avec le contrat première embauche (CPE).
Les systèmes de précarité bricolés par France 3 et Radio France participent eux aussi, sans même l'avoir théorisée, à la remise en cause de la clé de voûte de la plupart des droits inclus dans le Code du travail : le contrat de travail à durée indéterminée. » (conclusion, p. 108-109)
Avis aux candidats : pour votre entrée dans la vie active, le service public n'a donc rien trouvé de mieux qu'un début de carrière dans la précarité pendant plusieurs années, sans fin prévisible et dans l'illégalité. 

Références :
Lionel Okas, « Faire de nécessité vertu » Pratiques de la précarité des journalistes dans deux entreprises d'audiovisuel public, Sociétés contemporaines, 2007/1 n°65, p. 83-111.